mercredi 14 mai 2014

PROMENADE n°4 Autour de l'Hôtel de Ville de Saint-Gilles
(voir aussi promenade n°2)
Trams métro: Métro : Horta / Tram : 18, 23, 55, 81, 82, 90 / Bus : 48, 54.


Commune en plein essor à la fin du XIXème siècle, Saint-Gilles prouve le caractère extraordinairement populaire de l'Art nouveau bruxellois (voir promenade n°3). 
L'environnement immédiat de l' Hôtel de ville en témoigne.

L'Hôtel de ville de Saint Gilles

La logique aurait voulu que ce bâtiment inauguré en 1904 soit dans l'esprit moderniste qui faisait vibrer tout Bruxelles à l'époque. Et bien non...Dix ans après le coup d'éclat de Victor Horta, pourtant citoyen de Saint-Gilles et déjà vedette internationale, c'est le style Renaissance (époque Louis XIII) qui l'emporte... L'Architecte, Albert Dumont, réalisera pourtant avec son fils Alexis quelques maisons Art nouveau...Mais au moment où il est choisi par la commune de Saint-Gilles, on est en 1896...un peu trop tôt. 

L'Hôtel de Ville de Saint Gilles : un château français signé Albert Dumont (1896-1904)...


...avec son étonnant campanile.
Mais la révolution moderniste  s'insinue quand même dans le nouvel édifice et lui conféra dès le départ un rôle inattendu de musée d'art contemporain: sculptures, peintures, fresques, tapisseries. Rien n'est trop beau pour ce moderne palais démocratique... Tous les artistes qui ont apporté leur contribution habitaient le Saint-Gilles de l'époque.


La Déesse du Bocq. Jef Lambeaux
A tout seigneur tout honneur, une statue du sulfureux Jef Lambeaux s'impose aujourd'hui comme une évidence dans la cour d'honneur de l'édifice. Comme une évidence? Oui, car ce ne fut pas toujours le cas. En 1900 cette Déesse du Bocq  fut jugée si scandaleuse qu'on la relégua pendant sept décennies dans une cave de l'Hôtel de ville.
On raconte que lorsqu'on la sortit de sa retraite forcée  les seins divins avaient été polis et repolis par de si nombreuses mains  qu'il fallut, pour éviter le scandale, les ternir avant de les exposer enfin. 
La Déesse du Bocq,  symbolise la source wallonne qui alimente en eau la commune de Saint-Gilles. 

D'autres statues ornent la façade de l'édifice (dix sculpteurs ont apporté leur collaboration) , mais c'est encore  une oeuvre de Jef Lambeaux qui trône magistralement dans  le spectaculaire hall d'entré de l'Hôtel de ville. Et elle s'intitule en toute simplicité : Volupté . Et personne ne songe à la renvoyer dans une sombre oubliette infernale. 
Volupté de Jef Lambeaux.
Derrière elle, à travers la fenêtre, on distingue l'avenue Jef Lambeaux ...
C'est tout dire

Dans le même hall,  sous un caisson en verre qui la protège des agressions atmosphérique, 
La Porteuse d'eau de Julien Dillens
la Porteuse d'eau  de Julien Dillens. Cette image modeste mais emblématique de la commune  orna longtemps, sous un spectaculaire échafaudage métallique  Art nouveau, le carrefour dit Barrière de Saint-Gilles à cent mètres de l'Hôtel de  Ville. Une réplique (sans échafaudage) l'a remplacée.



Le Hall d'entée est aussi orné de grandes fresque signées par un peintre de la tendance  symboliste  longtemps oublié, mais qui a retrouvé accidentellement une célébrité: il avait eu la bonne  idée de confier à l'un des plus grand architectes Art nouveau, Paul Hankar,  le soin de construire sa maison rue de Facqz. Elle est célèbre aujourd'hui dans le monde entier  sous le nom d'Hôtel Ciamberlani.
Fresques pastorales d'Albert Ciamberlani pour l'Hôtel de ville de Saint-Gilles
Ne vous étonnez pas : toutes ces fresques ont un caractère éminemment bucolique, évoquant la vie à la campagne, les travaux des champs.  C'est un choix très volontaire. La plupart des habitants de Saint-Gilles sont en 1900 des primo arrivants comme on dit aujourd'hui, ce sont des émigrés de l'intérieur. Ils viennent des campagnes voisines où ils ont encore toutes leurs attaches familiales et sentimentales. Les fresques d'Albert Ciamberlani sont là pour les apaiser, les rassurer...  

Si vous avez de la chance, vous pourrez aussi visiter la salle des mariages de l'Hôtel de ville de Saint-Gilles. Son plafond  a été décoré par Fernand Khnopf, star du symbolisme belge, ses murs par unes série extraordinaire de tapisserie dessinée par Isidore de Rudder et tissées par son épouse Hélène, deux acteurs essentiels de l'Art nouveau bruxellois
Détail d'une tapisserie d'Isidore et Hélène de Ruder pour la Salle des mariages


Détail d'une des peintures de Fernand Khpnoff  ornant le plafond de la Salle  des mariages 

Faut-il le rappeler, tous ces artistes, ils sont une centaine au total, étaient "de" Saint-Gilles, tout comme Victor Horta. Il faudra peut-être un jour se pencher sur le rôle déterminant  d'une petite commune bruxelloise dans l'Histoire mondiale de l'art. 

(*)Visite de l'Hôtel de ville Le hall central est accessible tous les jours ouvrables pendant la matinée.L'Hôtel tout entier est ouvert le 1er mercredi du mois: visite guidée: 15h; les autres jours: sur demande écrite (3 semaines à l'avance). Fermé vendredi après-midi, samedi, dimanche, l'après-midi en juillet et août. Métro : Horta / Tram : 18, 23, 55, 81, 82, 90 / Bus : 48, 54.
(**) Nos remerciement à M. Charles Picqué, Bourgmestre de Saint-Gilles, qui nous a autorisé à photographier les oeuvres présentées ici. 

Place Van Menen
Porte du 14 place Van Meenen
Face à l'Hôtel de ville, la place Van Menen est bordée de nombreux immeubles aux caractéristiques Art nouveau prononcées. Au 14, Paul Vizzavona a construit en 1911 un bel immeuble à appartement où l'on retrouve tous les éléments qui ont caractérisé son style: encadrement des baies, garde-corps des balcons... .Mais c'est dans la porte monumentale, toute en métal et en verre américain, qu'éclate une fois de plus son génie.
 Au 22, Léon Janlet signe en 1913 un autre immeuble de rapport très éclectique mais on y trouve encore un peu de trace de l'Art nouveau finissant


Camille Damman, la classe

Au 43 avenue Adolphe Demeur, également  en face de l'Hôtel de ville, Camille Damman a construit  en 1906 une très belle maison Art nouveau dont, malheureusement, les sgraffites, qui auraient pu être restaurés, ont été sauvagement détruits. 



43 Avenue Adolphe Demeur . Camille Damman  (1906)
C'est un prototype bruxellois  parfait: façade étroite en briques blanches et pierres bleues toute simple pour une maison familiale. Mais, à chaque niveau, l'architecte modifie l'apparence des baies pour créer un mouvement ascensionnel qui se termine à deux fenêrtes étroites entourant un fin bow-window triangulaire lequel indique comme une flèche la direction du pignon et sa composition géométrique à la fois abstraite et symboliste. Ce pignon se termine par un mystérieux cadran de pierre semi-circulaire. La porte d'entrée avec son imposte en arc outrepassé orné d'un vitrail où des vagues japonisantes menacent l'envol d'une libellule est très très belle.
A remarquer aussi les motifs géométriques abstraits taillés dans la pierre bleue qui répondent aux fers forgés des gardes-corps des balcons. Un regret éternel: la disparition des sgrafittes qui ornaient la façade

Camille Daman a aussi construit l'année précédente (1905) une autre maison de même inspiration au n°51 avenue Adolphe Demeur. Une première ébauche en quelque sorte.
En face de cette maison, deux façades éclectiques de la même époque en briques blanches et pierre bleue (n°30 et 32). La seconde est ornée de très beaux carreaux de céramiques floraux

Opéra baroque signé Gustave Strauven 

En 1902 Gustave Strauven construit une simple maison de rapport au 9 avenue Dejaer.    
9 avenue Dejaer. Gustave Strauven
 (1902)
Il la transforme en un opéra baroque de brique, de pierre bleue, de verre, de bois, de fonte, d'acier, de fer forgé et de vitraux. L'avenue toute entière, malgré la percé récente due aux travaux du métro, conserve son ambiance très fin de siècle, mais l'oeuvre de Strauven lui donne une dimension quasiment surréaliste avec, pour commencer, cette baie de l'entresol comme un oeil guettant les passants. Deux consoles de pierres sculptées la traversent pour supporter l'oriel trapézoïdal aux chassis exceptionnels, différenciés à chaque niveau. Une troisième console, de fer celle-là, forgée en coup de fouet et prolongée par un pilastre d'acier, achève de créer un mouvement continu élégant jusqu'aux balcons latéraux. Et tout en haut, la porte de la toiture mansardée s'inscrit dans une fausse baie de pierre blanche qui se termine, ultime envolée, par un exubérant épi de faitage en fer forgé soutenu par deux pinacles de briques et de pierres bleues sculptées en bonnets phrygiens. Il faut le faire: par ce dernier élément, Strauven se proclame en quelque sorte, architecte révolutionnaire, voire franchement libertaire

Le couronnement exubérant du 9 Avenue Dejaer .
Un siècle est passé, mais  Gustave Strauven reste toujours aussi stupéfiant!

Deux  jumelles qui interpellent

On peut encore admirer aux n°13 et 15 avenue Adolphe
13 et 15 avenue Adolphe Demeur 
 Demeur, deux maisons jumelles Art nouveau très particulières et étonnamment asymétriques. Au rez-de-chaussée, cinq fenêtres étroites et une porte bardées de fers forgés géométriques. Les cinq  Les cinq fenêtres sont surmontées d'un imposant bow-window trapézoïdal supporté par deux consoles métalliques et chapeauté par un petit balcon où on accède par une double porte-fenêtre 
Au dernier étage, 7 fenêtres étroites dont les menaux sont prolongé par des consoles portant la corniche. Entre ces consoles des carreaux de céramiques à décor floral.

6 rue d'Albanie.
Au 6 rue d'Albanie, un peu plus loin, l'architecte Serrure signe une autre maison Art nouveau dont les sgraffites ont été restaurés avec soin. A remarquer ici  l'utilisation totalement  assumée  des poutrelles d'acier pour assurer la cohérence et la stabilité de l'ensemble. Une  caractéristique typique de l'Art nouveau bruxellois 

Les chefs d'oeuvre en péril 
de J.P. Van Oostveen 
 
246 et 248 Chaussée de Waterloo
J.P. Van Oostveen 
Enfin, pour ne rien rater de cet environnement exceptionnel, un regard s'impose aux six maisons classées de J.P. Van Oostveen (n° 246 à 256 chaussée de Waterloo).Sauf le n°256 restauré (à droite sur la photo), les autres sont de véritable chefs d'oeuvre en péril. A l'heure actuelle on ne peut qu'imaginer la beauté extraordinaire de ce prodigieux ensemble d'Art nouveau géométrique

.                                                                         
Deux  images valent mieux qu'un long discours pour décrire ce qui est menacé.
L'oeuvre de J. P. Van Oostven a pratiquement disparu du paysage bruxellois 

Retournez  maintenant un peu sur vos pas pour vous rendre avenue des Villas.   Au 9/11 de cette avenue, Léon Janlet  a construit en 1908, sur un terrain triangulaire particulièrement aigu un véritable "iron building" new-yorkais en miniature. Son rez-de-chaussée abritait primitivement un estaminet: d'où les trois  superbes 
sgraffites  Art nouveau qui ornent la façade côté rue Cluysennaar. Ils sont dédiés à la faro ( grandes spécialités  des brasseurs bruxellois)  et bien sûr à Bacchus.


Entrez ensuite dans la rue Jean Robie tracée en 1902 et qui est meublée presqu'uniquement d'immeubles de rapport construits dans l'esprit social et moderniste de l'époque. Parmi les plus intéressants, le n°29 avec sa belle façade de briques crèmes et de pierres bleues sculptées.Petite touche artistique supplémentaire :
Majolique du 29 rue Jean Robie 
(Guillaume Janssens)
quatre majoliques évoquant les saisons  ornent la travée centrale. Elles sont du  céramiste Guillaume Janssens (1880-1956).
 Ce type de décoration se retrouve de façon plus extraordinaire sur les deux maisons construites en 1911 par Léon Delville , 34 et 36 rue Jean Robie. 
36 rue Jean Robie : femmes, oiseaux, saisons
Hall d'entrée
36 rue Jean Robie
 Ici, l'insolite présence de quatre portraits de femmes, accompagnées chacune de l'oiseau la symbolisant, témoigne à elle seule de la formidable volonté de cet architecte de mettre l'art au service et à la portée de tous. La décoration des halls d'entrée, simple mais  très soignée,  relève de la même philosophie 


Camille Damman, avenue du Parc 
Descendez ensuite la rue Jean Robie pour rejoindre l'avenue du Parc. Belle avenue qui a grandement conservé son allure très “fin de siècle”. Élément le plus remarquable :la façade conçue en 1907 par Camille Damman pour le 38 Avenue du ParcElle est en briques blanches et oranges rehaussée de pierre bleue et de pierre blanche. La magnifique porte d'entrée, toute simple, est surmontée d'une imposte spectaculaire en forme de vasque. Ce mélange de formes polygonales, ovales et trapézoïdales est pratiquement unique dans l'Art nouveau bruxellois et donne un caractère très particulier à cette façade. les garde-corps des balcons, subtilement géométriques, et de très beaux sgraffites parachèvent ce véritable poème architectural.
Vitrail de l'imposte du 38 avenue du Parc.
Camille Damman (1907)
Au 88 avenue du Parc, enfin, le sommet de la façade est décoré d'un beau panneau de majolique


La composition est classique mais ce décor au faisans est assez rarement utilisé
88 avenue du Parc

L'avenue du Parc débute à la Barrière de Saint-Gilles, important carrefour où se croisent six avenues ou rues. Elle est dominée depuis le 10 avril 1900 par La Porteuse d'eau, de Julien Dillens.
La porteuse d'eau de Julien Dillens (copie).
Derrière elle:  la  maison construite par
Gustave Strauven  dans l'avenue Dejaer. 
A l'époque, elle était juchée au dessus d'une fontaine à quatre vasques alimentées par des chimères de bronze. Par dessus se dressait un candélabre à quatre bras ornés de dauphins et surmontés de la statue dorée de La Porteuse d'eau. Pour faciliter la circulation automobile naissante, et l'alimentation électrique des trams, cet ensemble fut démonté en 1932 et remplacé 45 années plus tard par un monument plus modeste dessiné par Jean Delhaye, l'architecte élève de Victor Horta qui consacra toute sa vie à défendre envers et contre tous l'oeuvre de son maître. La statue originale de La Porteuse d'eau, protégée de la pollution, se trouve à l'intérieur de l'Hôtel de ville de Saint-Gilles (voir au début de cet article) 



Malgré nos recherches, il ne nous a pas toujours été possible de déterminer la date du décès des architectes ou des artistes ayant réalisé une oeuvre montrée dans cet article ou de retrouver des ayants droit.  Afin de ne pas enfreindre involontairement la législation sur les droits d'auteurs, toute précision ou information concernant l'un ou l'autre document photographique  sera immédiatement prise en compte. Sans autorisation, le ou les documents photographiques seront immédiatement supprimés. 




1 commentaire:

  1. Vous avez compilé un très beau blog ici. J'ai lu l'article. Éducatif et informatif. Paul Hankar est mon architecte préféré parce que j'ai écrit une étude sur lui. La maison Ciamberlani était le sujet. Bien cordialement Catherine Boone

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