dimanche 22 décembre 2013

A redécouvrir bientôt, 
le 6 rue du Grand Cerf


6, rue du Grand-Cerf, la galerie d'art des Frères Leroy
construite par Jules Barbier en 1901


























Classé depuis près de 20 ans (16 mars 1995 exactement ), le 6 rue du Grand Cerf, à deux pas du Palais de Justice de Bruxelles, est enfin en pleine phase de rénovation. Jusqu'ici, ce grand bâtiment toujours couvert de suie et de poussière, passait pratiquement inaperçu. Et puis tout change, les premiers travaux de nettoyage lui rendent déjà un peu de son éclat primitif. 
L'architecte Jules Barbier l'a construit en 1901 pour deux marchands d'art, les frères J. et A. Leroy qui y ont installé leur galerie. Le 26 mars 1904, ces deux frères mirent notamment en vente quelques fusains que le peintre Théo Van Rysselberghe avait dessinés en 1887 pendant un voyage au Maroc pour illustrer un livre d'Edmond Picard,  El Mogreb El Aksa.


C'est donc un des rare bâtiments de la belle époque conçu dès l'origine pour abriter une galerie d'art qui  retrouvera d'ici à quelques semaines (fin avril-début mai 2014) une fonction quasiment similaire... La société  de vente aux enchères Lempertz de Cologne  l'a en effet acquis en 2010 pour en faire sa salle de vente bruxelloise. L'événement est assez unique pour être souligné.  



De style Art nouveau éclectique,  la façade  se caractérise par la disposition asymétrique de toutes ses baies grâce à l'utilisation de poutrelles d'acier (bien visible sur la photo), par les boiseries du grand chassis de gauche et par la beauté des sgraffites animant l'ensemble (que l'on ne discernait plus depuis des années). Ils seront entièrement restaurés. 
Sgraffite à la palette du peintre qui n'attend que sa restauration

Point de détail important, la porte d'entrée retrouvera sa marquise originale, refaite d'après les plans de Jules Barbier. Ce que l'on ne devine absolument pas de l'extérieur, en revanche;  c'est l'organisation interne de la Galerie des Frères Leroy.  L'arrière du bâtiment est en effet composé d'une gigantesque salle de vente (13 mètres sur douze) éclairée par une grande verrière moderniste sans le moindre point d'appui intermédiaire.. Tout cet espace est en cours de restauration et promet d'être magnifique 
   
En 1922, la Galerie des Frères Leroy était devenue la Galerie du Studio
Avec cette restauration, c'est tout l'angle formé par la rue du Grand Cerf et la rue aux Laines qui retrouve son état d'origine avec des immeubles de prestige témoignant des goûts pour le moins variés des bourgeois bruxellois de la belle époque. Il ont tous été construits vers 1900: le 4 et le 2 rue du Grand Cerf en syle Renaissance flamand (1902),

L'angle de la rue du Grand Cerf et de la rue aux Laines
avec la galerie d'art à l'extrême droite

Gothique au 56 rue aux Laines
le 56 rue aux Laines en style néo-gothique (1901), les  numéros précédents, presque tous construits autour de 1902  par un architecte allemand, Guillaume Low,  dans un parfait  style néo-classique français













Rappelons que c'est grâce à  l'intervention d'une organisation de défense du patrimoine  (l'ARAU Atelier de Recherche et d'Action Urbaine) et d'un homme politique bruxellois (Philippe Moureau) que cet ensemble architectural témoins d'une époque a échappé  miraculeusement  à la sauvagerie des promoteurs immobiliers  au début des années 80. 











dimanche 8 décembre 2013

L'Art nouveau retrouvé (enfin!)
                       Le Musée Fin-de-Siécle
                                   Bruxelles



Au coeur du tout nouveau Musée Fin-de-Siècle, on peut enfin admirer la fabuleuse collection Art nouveau rassemblée pendant plus de trente ans par Anne-Marie Gillion-Crowet et acquise il y a sept ans par la Région Bruxelles-Capitale. En 1999,  Michel Draguet,  l'actuel patron des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, avait déjà établi le catalogue complet de cet ensemble exceptionnel, sous le titre "L'Art nouveau retrouvé" (Éditions Skira).
Une présentation aussi délicate qu'astucieuse 
(ici la lampe Mousseron de Daum)
L'ensemble est présenté dans un écrin  qui aurait fait rêver Samuel Bing, le marchand d'art parisien qui, surfant sur le  dernier mouvement à la mode, rebaptisa en 1895  son magasin  La Maison de l'Art nouveau. On découvre ici  des verreries rarissimes signées Gallé, Daum, Mueller ou Decorchemont ; des meubles de Gallé, Majorelle, Horta; des sculptures d' Alphone Mucha, Fernand Khnopff (Tête de Méduse), Raoul Larche (la célèbre danse serpentine de la Loïse Fuller), un chandelier tulipe de Fernand Dubois, ”Maléficia” de Philippe Wolfers. 
La salle à manger aux épis de blé d'Émile Gallé (1900). 
Au mur, quatre estampes de Mucha 
Enfin, les murs de ce lieu magique sont ornés d'estampes d'Alphonse Mucha et de tableaux symbolistes en parfaite adéquation avec ce qu'ambitionne d'être le Musée Fin-de- Siècle: "L'Ange des splendeurs", "Orphée mort" et "Parsifal" de Jean Delville, "L'Églantinier" et "La Ronde des Heures" de Xavier Mellery, "Circé" , "Les Mortes", "Une Charogne" de l'étonnant Gustave Adolphe Mossa, "Spleen et Idéal" de Carlos Schwabe et puis deux oeuvres magistrales de Fernand Khnopff : "Une Aile bleue" et "D'après Flaubert, la Tentation de Saint-Antoine".

Khnopff, précisément

En 1930, lorsque Paul Colin, célèbre critique d'art de l'époque, établit le bilan d'un siècle de peinture belge il ne 
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"Des Caresses", de Fernand Khnopff (1896) 
C) Bruxelles MRBAB/KMSKB



consacre que deux ou trois lignes méprisantes à ce peintre mort en 1921. Le symbolisme et sa contre-culture stupéfiante avait complètement disparu des mémoires enfoui sous les décombres de la Grande Guerre. Un demi siècle plus tard, en 1979, un autre critique, Robert Delevoy, aidé par Catherine de Croes et Gisèle Ollinger-Zingue, mène l'enquête. Leur travail met en évidence le rôle majeur de Fernand Khnopff dans l'histoire de la peinture mondiale, le transformant d'un seul coup en icône incontournable comme...René Magritte.
Musée-Fin-de-Siècle
C'est sans doute en pensant à cette remise à jour étonnante que Michel Draguet a bouleversé complètement l'organisation des Musées Royaux des Beaux-Arts,
Charles HERMANS (1839-1924) A l'Aube (1875)
C'est l'oeuvre qui ouvre le musée Fin-de-siècle, 
annonciatrice de tous les bouleversements futurs(C) Bruxelles MRBAB/KMSKB



"balançant" l'art moderne au profit d'un musée à la dénomination improbable: Fin-de-siècle.
Le pari est aussi audacieux que risqué. Avant d'aboutir à la collection Gillion-Crowet, la promenade – car il s'agit bien d'une promenade dans les étages de l'ancien musée d'Art moderne – nous invite à revivre avec plus ou moins d'intensité la vie culturelle et artistique bouillonnate de l'époque : celle des expositions internationale du groupe de “Vingt” (1885-1891), puis de "La Libre Esthétique" (1894-1914).

Théo Van Rysselberghe (1862-1926) La promenade (1901)
(C) Bruxelles MRBAB/KMSKB
   On y retrouve tous les tableaux "modernes" qui faisaient déjà la réputation des Musées Royaux des Beaux-Arts, avec évidemment  Fernand Khnopff, mais aussi James Ensor (une vingtaine d'oeuvres plus remarquables les unes que les autres), Théo Van Rysselberghe, Henri Evenepoel, Constantin Meunier, mais aussi Bonnard, Seurat, Signac, Gauguin et Van Gogh (un dessin seulement). Tout l'esprit d'une époque au tournant du XIXème et du XXème siècle.
Paul Gauguin (1848-1903) 
Le Calvaire breton, le Christ vert (1899)
(C) Bruxelles MRBAB/KMSKB
Une critique cependant : étant donné la complexité de l'époque, une mise en perspective s'imposait. Des panneaux explicatifs comme on en trouve dans les meilleurs musées du monde, destinés bien sûr à un public profane (mais qui ne 
Charles Vander Stappen (1843-1910).
Sphinx (marbre) 
l'est pas?) permettraient de mieux saisir quels étaient les enjeux et la signification de chacun des mouvements esthétiques qui s'entrechoquaient en cette fin de siècle.
En quelques sorte, ce musée manque singulièrement de "storystelling" une expression très début du XXIème siècle - signifiant qu'il faut savoir raconter des histoires quand on veut être compris. 
Mais que cette remarque ne gâte pas votre plaisir. 
  

samedi 7 décembre 2013

Ernest Blerot, star de l'Art nouveau bruxellois. 
Catalogue raisonné d'une oeuvre architecturale

C'est à Jacques Arets,  un particulier passionné,  que l'on doit la première monographie consacrée uniquement à Ernest Blerot, l'un des architecte les plus poétiques de l'Art nouveau. En quelques années (1896-1911), Blerot a construit 74 maisons à Bruxelles dont plus de cinquante sont toujours debout.. Mais cela fait quand même une vingtaine de démolitions qui ne seraient plus autorisées aujourd'hui  Regrets éternels. Parmi les victimes des impitoyables promoteurs, la maison personnelle de Blerot construite au bord des étangs d'Ixelles. On imagine sans peine le  chef d'oeuvre qu'elle devait constituer car Ernest Blérot ne se contentait pas de construire des maisons, il pouvait aussi en créer le mobilier. Son style, très floral et végétal, dans la lignée des premières réalisations de Victor Horta, est reconnaissable entre tous notamment parce qu'il renouvelle sans cesse une grammaire décorative constamment réactualisée.

Page 204 l'angle des rue Vanderschrick/Volders en 1974 lorsque la ville était encore noire de suie.
Page 205,  l'immeuble abrite aujourd'hui le café "La Porteuse d'eau" (décor art nouveau moderne). 
Jacques Arets, qui avait acquis une maison signée Blerot, s'est donc étonné de ce que ce grand architecte, très populaire à son époque, n'ait fait l'objet d'aucune étude approfondie. Il s'est donc mis à la tâche. Dix annnées de recherches méticuleuses lui sont nécessaires pour aboutir à un opus, grand in quarto cartonné de  336 pages, abondamment illustré. Le sous titre de ce livre "Un style, Une ville" est particulièrement adéquat pour un architecte qui pensait la ville comme un tout organique et esthétique. 


Porte d'entrée et dessins des façades d'angles du 28 rue de Belle-Vue.
Oeuvre majeure d'Ernest Blérot au tornant du siècle(1899)
Jacques Arets   analyse l'une après l'autre chacune des maisons de Blérot, y compris, quand cela est possible, celles qui ont été détruites.
En haut : le  28 rue de Belle-Vue en 1899 .
Document tiré de "Die Architektur der neuen freien Schule" (source AAM)
En bas, l'immeuble qui l'a remplacé en 1959.
Oeuvre des Établissement Tamigneaux
Pour chaque maison, il donne un historique succint et signale le transformations qui ont été réalisées. 

Bref une foule de renseignements indispensable à la bonne compréhension de ce qu'était l'architecture au tournant du XIXème et du Xxème siècle dans une ville en pleine révolution culturelle et en pleine explosion démographique.

















Ernest Blerot, architecte Art nouveau bruxellois. Un style, une ville,.
Edité à compte d'auteur , il peut être acheté au prix de 35 euros

- aux Archives de la Ville de Bruxelles
65, rue des Tanneurs, 1000 Bruxelles.
Tél. +32 (0)2 279 53 20, 
fax : 32 (0)2 279 53 29


- chez l'auteur lui-même
Arets Galleries: tél.fax +32 (0)2 466 60 48, 
GSM +32 (0)475 80 19 59;
IBAN BE49 3101 0093 6771

mercredi 20 novembre 2013

Catastrophe, solidarité, beaux-arts et... histoire

Tremblements de terre apocalyptiques,  ouragans déchaînés,  cyclones ravageurs, tsunamis hallucinants suscitent des élans de solidarité qui réchauffent le coeur. Mais depuis quand? Un siècle peut-être. Une des premières catastrophes à être médiatisées de façon planétaire a eu lieu  le 

  
Couverture illustrée d'un dessin symboliste
de Constand Montald
28 décembre 1908. Ce jour-là,  un violent tremblement de terre secoue la pointe de la Calabre et la Sicile. Un  tsunami monstrueux achève de détruire les villes de Messine, Reggio de Calabre et Palmi. 80 000 morts au moins. Les autorités envisagent  même d'abandonner toutes ces cités et de les recouvrir de chaux vive pour éviter les épidémies. Des journalistes, des envoyés spéciaux,  attirés par cet événement hors du commun multiplient les  reportages déclenchant  à travers toute l'Europe un mouvement de solidarité inouï. Il mobilisera assez de fonds et d'énergie pour permettre la reconstruction de Messine (ce qui prendra tout de même ... 25 ans). En Belgique,  une jeune revue fondée en 1905 à Bruxelles, La Belgique littéraire et artistique, réagit rapidement et lance un appel aux artistes pour qu'il offrent des oeuvres qui seront mises en vente aux profit des sinistrés de Sicile. 


Les dessins originaux du fronton, et des lettrines,
signés Gérard Roosen, font partie de la vente  












La réponse est enthousiaste. Des centaines de personnes souscrivent. Un numéro spécial de la revue est créé qui devient en même temps  le  catalogue des  oeuvres qui seront mises en vente le 19 mai 1909,au siège du Musée du Livre; rue Villa Hermosa. Parmi les donateurs quelques-unes des grandes figures du symbolisme, de l'Art nouveau et du post-impressionnisme  belge : Jan Brusselmans, Emile Claus, James Ensor,  Fernand Khnopff, Eugène Laermans, Armand Tassenfosse etc.

"Femme au linceul" de Fernand Khnopff pour illustrer un texte d' Émile Verhaeren :
"Aujourd'hui la générosité ne calcule point, elle ne connaît qu'elle même et se donne toute entière"
               

Partition de G. Frémolle. Dessin de E.G. Wathelet







Tout comme des compositeurs:    Sylvain Dupuis, Paul Gilson, Théodore Radoux, A. Depré, G.  Frémolle etc.






Outre le tirage courant de ce "catalogue",  il y eut, réservé à quelques contributeurs particulièrement généreux (le dons allaient jusqu'à 150 francs or ) un luxueux "tirage spécial"  sur papier Japon et rehaussé  à l'aquarelle.
Premier plat du porte-feuille. Cuir repoussé
d'après un dessin du sculpteur  Jef Lambeaux mort en 1908






Ce tirage était glissé dans un portefeuille en cuir repoussé dont le premier plat s'ornait d'une sorte de bas relief inspiré par un dessin du sculpteur  Jef Lambeaux, décédé l'année de la catastrophe. Comme quoi, solidarité bien ordonnée ...


A gauche, texte de Paul André et dessin d'Edmond Van Offel. A droite, dessin d'Armand Rassenfosse


  

mercredi 16 octobre 2013


Georges Broeckaert 
Maître-artisan du vitrail Art nouveau 
Inventeur de... la ligne claire

Détail d'un  vitrail 
Eglise Saint-Boniface d'Ixelles 
  (seconde moitié du XIXème siècle)
Au 19ème siècle, l'industrie du vitrail bat son plein à Bruxelles. Les commandes affluent. De généreux donateurs, très soucieux du salut de leurs âmes, offrent vitraux sur vitraux aux églises de leur paroisse. C'est le cas notamment dans la toute nouvelle paroisse Saint Boniface d'Ixelles dont l'église, première église néo-gothique de Bruxelles, fut bâtie entre 1845 et 1857 
(pour en savoir plus sur cette église : tchorski.morkitu.org/6/boniface-01.htm )
                                        
Jusqu'à la fin du XIXème siècle, des vitraux du même genre mais avec des thèmes  plus profanes ornent encore des maisons particulières, même quand  l'architecte est une des vedettes de l'Art nouveau, comme Gustave Strauven. 



Vitrail romantique (verre peint) inspiré par  la légende du Docteur Faust dans une maison construite par Gustave Strauven, 30 rue Saint Quentin (1899) 
         
Pendant ce temps, d'autres artisans se lancent résolument dans le modernisme (sans abandonner pour autant la tradition... Question de clientèle, bien sûr!). Parmi ces artisans oubliés, Georges Broeckaert installé dans le quartier nord, au 16 rue des Charbonniers (Saint-Josse). Il s'était d'abord spécialisé dans la peinture dorée sur verre car la demande était considérable : dans toute bonne maison bourgeoise et dans tout édifice public important on trouvait  ce type de vitrage (généralement dans les styles les plus conventionnels : Rennaissance, Louis XIII, XIV, XV, XVI, Empire etc.). 
Peinture avec rehauts d'or sur verre.
Hôtel de ville de Saint-Gilles.
Style Renaissance Louis XIII (1904)
Mais dans les dernières années du siècle,  Georges Broeckaert   se lance résolument dans l'aventure de l'Art nouveau et imagine des vitraux en rupture totale avec la tradition. 


Projet de verrière zénitale. Dessin non signé retrouvé avec un lot d'archives 
de G. Broeckaert. 
Mine de plomb et aquarelle (230/225mm)





Projet de vitrail pour grande verrière. 

  Dessin non signé  retrouvé parmi des archives Broeckaert. Mine de plomb (220/231mm)

Comme on le voit, Georges Broeckaert, et ceux qui ont travaillé avec lui, inventent en quelque sorte la ligne claire pour le vitrail. Avec le même objectif que les architectes Art nouveau:  laisser pénétrer la lumière à l'intérieur des maisons, enluminer la vie. 
Le succès est immédiat et manifestement à la hauteur de ses espérances car très vite Georges Broeckaert  peut confier à l'imprimeur Van den Acker, installé 21 rue de la Limite (Saint-Josse), le soin de réaliser un catalogue de ses productions. 

Couverture à la japonaise du catalogue Broeckaert
On y trouve notamment quelques 70  propositions  de vitraux pour toutes sortes de baies, impostes ou brise-vue, toutes rehaussées à l'aquarelle. Elles sont numérotées 501 à 578, (avec quelques numéros manquants). Pratiquement c'est toute l'iconographie de base du vitrail Art nouveau bruxellois qui y passe. 

Une page du catalogue Broeckaert

    Lithographie en brun rehaussée à l'aquarelle
                            
Un des modèles standard proposé par Georges Broeckaert 
Vitrail aux iris, la fleur emblématique de Bruxelles. 
Trait lithographié en brun. Rehauts d'aquarelle
Projet de vitrail pour La Maison de la Radio (I. N. R.)
construite entre 1935 et 1938  place Flagey à Bruxelles;
Son architecte, Joseph Diongre, débuta dans l'Art nouveau.
Document retrouvé dans un lot d'archives Broeckaert.

Le nom de  Georges Broeckaert, artisan majeur de la belle époque, est hélas bien oublié aujourd'hui.
Mais par son arrière-petit-fils nous savons que quatre générations au moins de  Broeckaert ont fabriqué des vitraux pour des demeures et des bâtiments officiels bruxellois. Dans les années '30,  ces artisans ont quitté la rue des Charbonniers pour un nouvel atelier installé au 54 rue Masui.
(Remerciements à l'arrière-petit-fils de Georges Broeckaert, qui porte le même prénom que son arrière-grand-père pour les précisions apportée à la fin de cet article)

vendredi 27 septembre 2013

PROMENADE n°3. Saint-Gilles : de merveilles en merveilles



PROMENADE n°3. Saint-Gilles : de merveilles en merveilles
Point de départ: place Paul Emile Janson au carrefour de la rue Defacqz et de la chaussée de Charleroi (trams 81, 92 et 97)

Cette promenade traverse un autre quartier de Saint Gilles. Nous y découvrirons
quelques-unes des réalisations les plus spectaculaires de l'Art nouveau bruxellois.

1- Les sgraffites de la rue Morris
La rue Morris relie la chaussée de Charleroi à la chaussée de Waterloo. En son milieu, sur la rive gauche les numéros 52, 56, 58 et 60: quatre maisons d'allure classiques mais aux caractéristiques art nouveau discrètement affirmées. Sous les corniches de ces quatres maison, de très beaux sgraffites signés Adolphe Crespin qui avait décoré la maison personnelle de Victor Hankar.

Sgraffite d'Adolphe Crespin pour le 58 rue Morris

Malheureusement les façades de ces maisons n'ont pas encore été nettoyées ce qui nous replonge dans le climat des années '60-'70 quand toute la ville, noire de suie et d'émanations pétrolières, était livrée à la spéculation immobilière

2 - Rue d'Irlande : Hankar et Van Waesberghe

Consoles de la logette du 70 rue d'Irlande
                  Paul Hankar 1896)
En 1896, au 70 rue d'Irlande, Paul Hankar entreprend la construction de la modeste maison-atelier du peintre Jean Gouweloos. Principale caractéristique: la logette supportée par deux paires de consoles en fers forgés mélangeant Art nouveau et style médiéval. Juste en face, 8 ans plus tard, les frères des écoles chrétiennes construiront l'Ecole Saint Luc (architecture, arts décoratifs etc) en style....gothique!

Un peu plus bas au 52 rue d'Irlande, Armand Van Waesberghe construit pour ses soeurs une petite maison que certains considèrent comme son chef d'oeuvre. Le plus jeune et le plus pétillant des architectes Art nouveau mêle ici audacieusement les formules modernistes et le... gothique flamboyant (avait-il anticipé la création de l'école Saint-Luc cinq ans plus tard?
                               Armand Van Waesberghe (1899)

2 – Rue Maurice Wilmotte

En 1902, 28 rue Maurice Wilmotte, William Defontaine construit sa propre maison au coin de la rue d'Espagne et de la rue Maurice Wilmotte. .  D'une grande simplicité apparente, la façade asymétrique qui donne sur la rue Wilmotte surprend par son rythme: 3-5-3 et sa porte japonisante.
Maison personnelle de William Defontaine (1902)              

L'annexe du corps principal longe sur un seul niveau la rue d'Espagne et sert d'assise à une vaste terrasse bien orientée pour recevoir le soleil d'après-midi . Le jardin d'hiver qui occupe une partie de cette terrasse a été dessiné par l'architecte en 1908.
       Au deuxième étage, un mur aveugle est ornéd'une une allégorie de l'architecture (ou de la franc-maçonnerie)
                                    
(La rue Wilmotte est riches aussi de plusieurs autres habitations de style art nouveau : mentionnons simplement la belle façade de briques et pierres blanches du n° 26, celle en briques vernissées blanches et vertes du n°19, et enfin celle en briques jaunes et pierres bleues du n°14.)



3 – Rue d'Espagne

Au 42 rue d'Espagne , belle maison Art nouveau (dont nous n'avons pas pu identifier l'auteur). Elle est en briques rouges et pierres bleues. Facade asymétrique une fois encore. Au rez-de-chaussée, porte cochère composée de deux formes ovales tranchées.
                                                           Porte du 42 rue d'Espagne
Au premier étage une seule grande baie vitrée divisée par des meneaux distribue une maximum de lumière à l'intérieur de la salle de réception. La porte centrale donne sur un balcon qui court tout le long de la façade avec un léger garde-corps d'inspiration néo-gothique.

                                                Au dessus de cette baie, sous arcades, 
                     cinq sgraffites constituant un seul motif floral avec figure féminine en sont centre.

La maison voisinne, 40 rue d'Espagne, est ornée sous la corniche d'un superbe sgraffite floral stylisé avec une figure féminine centrale à la chevelure en coup de fouet.
                                        Sgraffite du 40 rue d'Espagne (auteur inconnu)


4 – Rue de Pologne
Les frères Toisoul ont construit aux 35 et 38 rue de Pologne deux maisons qu, face à face, dialoguent depuis plus un siècle.
Au n°35 rue de Pologne, façade de pierres et de briques blanches. La travée étroite, décalée par rapport à la travée principale, est asymétrique: porte et fenêtre au rez de chaussée, deux fenêtres étroites à l'entresol, une fenêtre au second entresol et trois fenêtres au 3ème. 

















35 rue de Pologne. Toisoul Frères

 La travée principale est toute axée sur la captation de la lumière: larges baies vitrée au rez-de -chaussée surélevé et à logette qui est surmontée d'un balcon avec un délicat garde-corps en fer forgé.
Pour ce dernier étage, l'architecte change de rythme et place une porte étroite et une fenêtre latérale . De quoi, une fois de plus, envoyer la symétrie au diable

                                                   Dernier étage du 35 rue de Pologne

Au 38 rue Pologne, la composition est radicalement différente. Presque totalement symétrique. La double porte d'entrée est sous un auvent dominé par une imposte placée dans un encadrement de pierre ovoïde impressionnant. La travée large est dominée par une logette monumentale supportée par trois consoles et dominée par un balcon avec garde-corps en fer forgé. En somme deux variations sur le même thème.

                                    Encadrement monumental de la porte du 38 ru de Pologne
                                                               (Toisoul Frères)

Un peu plus bas, construite à la fin du XIXème siècle, la rue de Tamines possède du côté pair quelques belles maisons teintée d'Art nouveau et particulièrement celle construite en briques blanches et pierres bleues par Edouard Courtenay au 12 rue de Tamines avec ses fers forgés flamboyant d'inspiration néo-gothique.

5 – Place Morichar, Ernest Blerot se surpasse

Juste au tournant du siècle (1899-1900), 41 Place Louis Morichar, Ernest Blerot construit l'une des maisons plus emblématiques et les plus enchanteresse de l'Art nouveau bruxellois. 
41, Place Morichar,
l'une des pus belle réalisation d'Ernest Blérot 
Sa façade est en soi un véritable tableau urbain mêlant tous les matériaux de construction disponible (pierre blanche, pierre bleue, fer forgé, bois, mosaïque, vitraux) dans une symphonie poétique magistralement orchestrée. L'environnement est idéal. Placée en bordure d'une très grande place, récemment restaurée, elle peut être vue à distance comme un joyaux dans son écrin.
                         
La façade est asymétrique, triangulaire (les baies occupent un peu moins d'espace à chaque étage). Mais ce n'est qu'un détail parmi d'autres. La porte d'entrée - boiserie en gerbe liée, verre opaque et fers forgés ovoïdes, boîte-aux-lettres-poignée-de-porte en coup de fouet - est surmonté par un vitrail qui s'inscrit aussi dans une forme ovoïde, mais inversée. Tout le génie décoratif de Blérot est là.  

La baie vitrée latérale est découpée par des petis bois Art nouveau renfermant une grande scène bucolique vitraillée en verre américain (bord d'étang). Au premier étage, se partagent l'espace un bow-window trapézoïdal étroit et une large porte fenêtre donnant sur un petit balcon avec garde-corps en coup de fouet. Cet ensemble est couronné par une autre scène bucolique en mosaïque: à gauche chant du coq au soleil levant, à droite le hiboux de la nuit.
                            
Enfin, au deuxième étage, les trois baies vitrées surmontées par une autre mosaïque – vol d'hirondelles – sont enveloppées d'un encadrement fluide de pierres blanches. Toute cette scénographie bucolique correspond bien à la mentalité des nouveaux bruxellois qui sont souvent des campagnards urbanisés de fraîche date.

Juste à côté de cette superbe maison, les 43 et 44  place Morichar sont plus classiques mais ont tous deux  quelques beaux éléments Art nouveau.
Étonnant vitrail d'imposte quasiment cubiste au 
43 place Morichar














6 - Georges Delcoigne  toise Ernest Blerot

En 1899, en même temps qu'Ernest Blerot construit le 41 place Morichar, juste en face, 14 place Morichar, Georges Delcoigne (1870-1916) construit sa propre maison. 


                                        14 place Morichar   (Georges Delcoigne 1899)

C'est un architecte jeune et moderniste. Il a 29 ans. Comme celle de Blerot, sa maison est un véritable poème urbain
                                                               
La façade en pierre blanche d'Euville est très complexe. La travée étroite de la porte d'entrée (boiseries et fers forgés floraux) est surmontée d'un oriel décalé qui court sur toute la hauteur et se termine par un petit balcon.

        Le second étage avec ses sgraffites  allégoriques de la musique et de la peinture

La travée principale rythmée sur trois fenêtre est coupée au premier étage par un grand balcon et au second par une porte centrale avec garde-corps en fer forgé entourée de deux sgraffites polychromes, allégories, l'un de la musique et du chant, l'autre de la peinture. Le choix des coloris met en évidence la beauté de la pierre blanche d'Euville .
C''est la seule maison Art nouveau de Georges Delcoigne.

Au coin de la place Morichar et de la rue de Roumanie, remarquez un immeuble de rapport d'une grande simplicité mais orné de sgraffites directement inspirés par l'école de Glasgow.

7 – Vizzavona en Roumanie

Au 40 rue de Roumanie, Paul Vizzavona conçoit en 1905 une maison très originale en briques claires, rehaussées de briques jaunes et de pierres bleues. C'est une composition où l'on voit une fois de plus combien les architectes de l'Art nouveau inventent au jour le jour leur esthétique.


Baies du 2ème et du 3ème étage du 40 rue de Roumanie.
Une composition unique de Paul Vizzavona (1905)

Ici, le grand rectangle que forme la façade, plus haute que ses voisinnes, sert de base à un jeu de courbes totalement inédit : plein ceintre pour la grande vitrine du rez-de-chaussée et la baie unique du dernier étage. Entre les deux, variations sur cercles et rectangles rehaussées à tous les étages par des fers forgés délicats. Et comme si cela ne suffisait pas, la corniche d'une exceptionnelle largeur impose son retangle comme un horizon indépassable. Il y a de quoi rester rêveur.

8 - Rue de Parme 

En descendant la rue de la Victoire, il faut jeter un coup d'oeil au 26 rue de Parme. Fernand Symons y a construisit en 1897 une belle et grande maison teintée d'Art nouveau. 
Superbe sgraffite ésotérique admirablement restauré,  au 26 rue de Parme
Elle abritait un établissement photographique. Cette demeure a été considérablement transformée quelques années plus tard (en style néo quelque chose) mais elle a conservé ses superbes sgraffites récemment restaurés.
9 -  Rue de de la Victoire 

Porte d'entrée du 71 rue de la Victoire 
Plus bas, rue de la Victoire,  on passe devant un imposant hôtel de maître Art nouveau en pierre blanche construit entre 1907 et 1910 par Joseph Purnelle (71/71A rue de la Victoire)


Porte de service 

 Belle porte d'entrée avec panneaux de verre moulé protégés par des fers forgés art nouveau . Idem pour la porte de service. 


10 - Horta rue Hôtel des Monnaies
Un peu plus loin, prendre à gauche. Au 40 rue Hôtel des Monnaies, Victor Horta y construit entre 1894 t 1897 un vaste hôtel de maître pour l'ingénieur Camille Wissinger. C'est l'époque la plus flamboyante de l'inventeur de l'Art nouveau.

La façade de pierre blanche rehaussée de pierre bleue au rez de chaussée rompt une fois de plus avec toute la tradition architecturale. Ainsi, par exemple le bow-window du bel étage avec ses quatre colonettes de fonte qui se prolongent jusqu'au garde-corps de la terrasse supérieure s'appuie-t-il sur un autre bow-window lui-même supporté par         une console arrondie et galbée comme seul Victor Horta pouvait l'imaginer.

Toutes ferronneries forgées “en coup de fouet” achèvent de donner une impression somptueuse à ce magnifique bâtiment qui fut transformé une première fois par Victor Horta lui-même (1928-29), puis qui fut longtemps occupés par la compagnie d'assurance Le Lion Belge (quelques vitraux et      la boîte-aux-lettres en portent encore la marque) avant d'être restaurés dans son état originel par son nouveaupropriétaire. 

Rue de la Victoire, 34
Rue de la Victoire 34
Le 34 rue de la Victoire est particulièrement    intéressant car il témoigne de l'engouement incontestable des Bruxellois pour l'Art nouveau. Ici la construction est vaguement dans le style Renaissance flamande encore très prisé à l'époque
le style nouveau mais le décor, fers forgés, sgraffites, vitraux:      tout est dans style nouveau                         

 Pour le seul plaisir des yeux, voici successivement le vitrail   du bel étage donnant sur le rue de la Victoire  et celui 
donnant sur le jardin arrière
 Vitrail donnant sur la rue de la Victoire 
Vitrail donnant sur le petit jardin du 34 rue de la Victoire
                                         
10 – Le coup de génie d'Ernest Blérot

Depuis cette maison de la rue de la Victoire suivez  la rue qui part légèrement en diagonale et conduit directement à la rue Vanderschrick où  Ernest Blerot manifestera pendant quelques années tout son génie inventif. A la demande d'un promoteur immobilier, il prend le contrôle un terrain à bâtir et y règne en maître absolu y imposant une vision quasiment féerique de l'urbanisme moderne. Au total, entre 1900 et 1902, ce sont  18 immeubles qui surgissent de terre (maisons particulières, commerces et maisons de rapport: 13-15 chaussée de Waterloo, 1 à 25 rue Vanderschrick, 42 à 48 rue Jean Volders).
Un cas unique au monde :
17 immeubles qui forment le plus bel ensemble Art nouveau de la planète.
 

Pour réaliser ce prodige d'inventivité, Blerot est aussi le seul architecte Art nouveau à standardiser sa production pour en réduire les délais de fabrication et les coûts, ce qui ne l'empêchera jamais de personnaliser chaque demeure. En quelques années seulement, il construira ainsi une soixantaine de maisons  et... fera fortune avant d'être oublié, méprisé puis redécouvert. A l'époque où Bruxelles était ravagée sans scrupules  par les promoteurs immobiliers, c'est miracle que cet ensemble Art nouveau unique au monde ait survécu (presqu') intégralment. Laissé dans un quasi abandon pendant des décennies, il passionne aujourd'hui des amateurs éclairés (Français notamment) qui entreprennent de le restaurer et de lui rendre sa beauté fulgurante.
On en oublierait presque de regarder l'autre côté de la rue, meublé pourtant de fort belle maisons. L'une d'elle, le 10 rue Vanderschrick, mérite une attention particulière. 



10 rue vanderschrick, Jean Maelschalck
 ajoute une touche éblouissante à l'ensemble Blerot
Construit en 1904 par Jean Maelschalck cet immeuble Art nouveau en briques blanches rehaussés de pierres bleues, se distingue nettement du style Blérot mais s'en rapproche par l'abondance de ses décorations : sgraffites mordorés à tous les étages, larges balcons avec gardes-corps floraux“en coup de fouet” moulés en fontes dont le motif se retrouve dans la double porte d'entrée.


Sgraffite du 10 rue Vanderschrick, restauré récemment

11 – La pause s'impose


Rue Vanderschrick, il y a la possiblité de prendre une comsommation ou même un repas complet dans deux établissements installés dans des maisons Blérot restaurées. Le café restaurant “La Porteuse d'eau”, n° 25 rue Vanderschrick est un ancien bistrot modernisé dans un pastiche de l'Art nouveau . Il a pris son nom en hommage à la petite statue de la Porteuse d'eau de Julien Dillens dont la copie se trouve au carrefour dit “la barrière de Saint-Gilles” et l'original dans le hall de l'hôtel de ville (promenade n°5)

Autre lieu : le “Salon de thé “Jynga” installé au n° 3 de la même rue. La vitrine d'origine avec son décor en étain est sublime.


Malgré nos recherches, il ne nous a pas toujours été possible de déterminer la date du décès des architectes ou des artistes ayant réalisé une oeuvre montrée dans cet article ou de retrouver des ayants droit.  Afin de ne pas enfreindre involontairement la législation sur les droits d'auteurs, toute précision ou information concernant l'un ou l'autre document photographique  sera immédiatement prise en compte. Sans autorisation, le ou les documents photographiques seront immédiatement supprimés.